UNE DECLARATION D’AMOUR A L’EPHEMERE
L'EPOPEA DELL''ERASMUS, UN CORSARO DI CARAVAGGIO !
Chronique de KRISTIAN FRÉDRIC
26 septembre 2024
PARTIE 4
Jacopo Brusa… Ah, Jacopo ! L’homme aux baguettes magiques, capable de transformer une simple partition en tempête symphonique. Né en 1985 à Pavia – une ville qui semble avoir été créée juste pour abriter ce prodige de la musique. À l’âge de sept ans, alors que d’autres enfants étaient occupés à dessiner des soleils avec des sourires, lui, étudiait déjà le clavecin à l'Istituto Musicale "Franco Vittadini". Un génie précoce, donc.
C’est d’ailleurs au Teatro Fraschini de Pavia, ce même théâtre légendaire où j’ai retrouvé Francesco Nardelli, que Jacopo et moi avons échangé sur Massenet, et plus précisément sur cet opéra de Don Quichotte. Avec son regard malicieux, il a raconté à quel point cette œuvre lui tient à cœur, et de la manière dont Massenet avait réussi à capturer l’âme de ce chevalier rêveur.
Ah, la musique de Massenet… Une mer infinie de délicatesse, d'émotion, et parfois, il faut bien l'avouer, de malentendus. Car oui, comme nous en parlions ce jour-là, le pauvre Jules n'a jamais échappé à ses détracteurs. Ces éternels insatisfaits qui, à chaque nouveau chef-d'œuvre, brandissaient leurs baguettes acérées, prêts à accuser Massenet de ne pas savoir conclure un opéra. « Le dernier acte est toujours trop court ! Il manque de substance ! », clamaient-ils, comme s'ils attendaient que chaque œuvre se termine en apothéose de trois heures, avec des cymbales, des chœurs célestes, et des feux d'artifice qui illumineraient le firmament.
Mais Jacopo et moi, nous, on savait. On savait que c’était là toute la magie de Massenet. Lors de cette rencontre au Teatro Fraschini, nous avons échangé longuement sur Don Quichotte, et plus précisément sur ce fameux cinquième acte. Ah, le cinquième acte ! « Un pur diamant musical », disions-nous en chœur, ravis de trouver en chacun de nous un complice d’audace.
Les critiques, eux, n’y comprenaient rien, c'était évident. « Troppo breve, troppo limpido, troppo... perfetto ? » (Trop court, trop limpide, trop... parfait ?), ironisait Jacopo en imitant, avec un air faussement sévère, ces experts auto-proclamés de la longueur parfaite. « Ma è proprio lì che risiede il suo genio ! » (Mais c’est précisément là que réside son génie !), ajoutai-je, frappant doucement la table pour souligner mes mots. Ce dernier acte, dans Don Quichotte, c’est comme la dernière touche d’un tableau, celle qui éclaire toute l’œuvre, la rend éternelle. L’âme même de Quichotte y flotte avec une telle grâce, une telle dignité. « Sembra che abbia bisogno solo di poche note per esprimere l'immensità del suo sogno. » (On dirait qu’il n’a besoin que de quelques notes pour exprimer l’immensité de son rêve.)
Jacopo hocha la tête avec cette étincelle que seuls les passionnés de musique ont dans le regard. « È questo... » (C’est ça...), murmura-t-il, pensif. « L'ultimo atto è un respiro. Massenet sa esattamente quando fermarsi, quando non dire di più. Tutto sta nella precisione. » (Le dernier acte, c’est une respiration. Massenet sait exactement quand arrêter, quand ne plus en dire. Tout est dans la justesse.)
Nous avons alors plongé dans l’analyse de ce final, ce moment où Don Quichotte comprend que son combat est vain, mais où la noblesse de son rêve reste intacte. Tout y est : la résignation, mais aussi la beauté éternelle de l'illusion. Le calme avant l’inévitable silence. Massenet ne cède ni à la tentation de l’éclat grandiose, ni à celle de l’excès dramatique. « È un'elegia, un omaggio a coloro che osano sognare. » (C’est une élégie, un hommage à ceux qui osent rêver.), dis-je en regardant les ornements dorés du Teatro Fraschini qui nous entouraient, comme si ces murs avaient assisté, des siècles durant, à des milliers de ces derniers actes aussi beaux que fragiles.
« È per questo che siamo qui, no ? » (C’est pour ça qu’on est là, non ?), ajouta Jacopo, et il sourit, comme s'il venait de dévoiler une évidence. Nous étions là pour célébrer cette précision, ce diamant caché dans les derniers souffles de Don Quichotte. « Questo ultimo atto è una dichiarazione d'amore all'effimero. Alla musica che sa quando tacere. » (Ce dernier acte, c’est une déclaration d’amour à l’éphémère. À la musique qui sait quand se taire.)
Et c’est précisément dans cette vision partagée que nous nous sommes liés à cet instant. Il n’y avait pas de débat entre nous, pas d’argumentation, juste une communion autour de cette vérité. Pour nous, le cinquième acte de Don Quichotten'était pas une fin précipitée, mais une perfection subtile, un testament de pureté musicale. Massenet, avec la finesse d’un orfèvre, avait poli chaque note, chaque silence, pour créer une conclusion qui transcendait la simple narration.
Nous sommes restés là, silencieux un moment, comme pour savourer ce que Massenet avait voulu dire à travers ces dernières notes. Il ne s’agissait plus d’une œuvre, ni même d’un opéra. Don Quichotte, c’était un rêve partagé, une ode à ceux qui, comme nous, continuaient de croire que la beauté réside dans la légèreté, dans l’imperceptible, dans ces instants où la musique s’efface pour laisser place à l’émotion pure.
Et ainsi, autour de cette vision, naissait l’idée d’une collaboration. Peut-être que nous aussi, nous voulions affronter les moulins des critiques et des conventions pour défendre ce que nous croyions juste. Ce qui était certain, c’est que nous étions liés par ce rêve, par cette conviction que Massenet avait raison, que son dernier acte, aussi court soit-il, était un pur diamant, un joyau d’équilibre, de grâce et de vérité.
Et peut-être qu’un jour, dans ce même Teatro Fraschini, ces dernières notes résonneraient sous la direction de Jacopo et dans une mise en scène que j’aurais écrite pour l’accompagner, comme une déclaration d’amour à la musique elle-même.
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