La marelle n’est pas terminée, je le sais. Me suis-je arrêté en route ou perdu en chemin ? 

Je me souviens d’avoir au moins franchi la case numéro cinq.  

Ai-je dérogé à la règle ou suis-je tout simplement incapable de franchir d’autres obstacles ? 

Je me souviens d’avoir au moins essayé. L’échelle de Jacob ne sera pas franchie, je ne pourrai m’allonger sur l’herbe. Je me souviens de cela. 

Je me souviens de la douceur de ton sourire et de la profondeur de ton regard. 

Je me souviens de ce cimetière où, tous réunis, nous t’avons accompagné, Jean, dans ta prochaine demeure. Un homme essayait de te lire un texte. L’émotion grandissante le forçait à frapper le sol avec son pied, pour essayer d’arriver à te parler une dernière fois. 

Je me souviens du moment où ton cercueil rejoignit la terre, la grande inspiration sortie des lèvres de chacun. Je me souviens de nous tous, levant les yeux au ciel et croisant du regard le Christ en croix. Je me souviens de l’arrachement que l’on ressentit à cet instant-là. 

Ils sont partis les nôtres, de Bernhard à Koltès, de Jean-Bouise à Chéreau en passant par tant d’autres ! Anonymes ou divinités, ils ont franchi le fleuve, nous laissant seul sur la rive. Ombres, forêts, ils hantent désormais, chaque ligne, chaque geste qui s’échappent de nous. Je m’en souviens ! 

Je me souviens désormais de tout, du rire de mes filles, des pleurs des humains, du bourgeon qui s’éveille et de l’odeur de la cendre. Était-ce donc le prix qu’il fallait payer pour franchir le Styx de ma mémoire ?  

Je m’en souviens et ne vous oublierai pas. 

A vous, mes frères humains… 

Kristian FREDRIC